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L’approche formelle des choses, quand elle se dégage du souci de représenter le monde, ouvre des voies d’accès fructueuses à la matière dont le monde est constitué. C’est sur ce chemin, où d’autres artistes, de l’Art abstrait, cinétique ou minimal, se sont aventurés avant lui, qu’avance Romain Boulay. Sa démarche résolue se nourrit d’une solide réflexion sur l’histoire de la peinture et va aussi chercher du coté du design et de l’architecture, vers toutes les formes de réalisations qui approfondissent notre conscience des perceptions sensorielles.
On n’aura jamais fini de faire le tour de la question des sens.
Très tôt, il décline le nuancier des couleurs en de multiples œuvres, souvent en séries. Ces combinaisons chromatiques, accrochées parfois au mur en des cadres modulables et susceptibles d’être agencées différemment, fonctionnent à la manière d’une boite à outils qu’on peut ouvrir, offrant un éventail de possibilités optiques qui pourrait encore être agrandi. Ses objets muraux, qui renouent avec une tradition de la peinture réduite ici à de carrés colorés, mettent en évidence leurs structures, détachées cependant du mur sur lesquels ils sont fixés pour en mieux révéler le volume et la matérialité.
Ailleurs, les combinatoires de couleurs sont posées en ligne le long du mur ou jetées dans un coin tel un jeu de mikado. Cette confusion de lignes provoque des réflexes optiques proches de l’art cinétique qui, par le truchement des formes et des lumières, sollicite le regard de façon à rendre le spectateur conscient de sa perception rétinienne.
Un carré constitué de blocs blancs posés au sol compose un assemblage qui évoque la maquette d’un quartier de buildings. Seules les faces qui ne sont pas en contact avec l’extérieur sont peintes en rouge, et leur lumière se reflète sur les parois opposées. Le motif abstrait qui se manifeste à notre vue surplombante révèle cette absence de contact avec la surface extérieure et nous invite à nous approcher, révélant du même coup le volume de la pièce, la profondeur de la composition de l’espace et les lois géométriques qui régissent sa situation.
Attentives à l’espace qui les environne, ses œuvres nous invitent à jeter l’œil alentour, comme ces cadres blancs et pastels révèlent les murs blancs et la lumière qui vient inonder l’espace de l’exposition, ou comme ces grands volumes qui, s’imposant dans l’espace, en révèlent la disposition, la matière et la lumière.
Cette réflexion sur le contexte se déploie désormais à plus grande échelle. Ainsi, dans le cadre d’un projet justement intitulé, en hommage à Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’invisible, Romain Boulay travaille sur la situation géographique et la matière d’un blockhaus, l’enveloppant d’un ondulé plastique translucide, jouant sur l’alternance entre apparition et disparition. Il s’agit de rendre visible, de révéler, mais en invitant à percevoir d’autres éléments, qui restent invisibles à notre approche courante du réel. Ici, la seconde peau opaline qui recouvre le blockhaus fait référence aux nouveaux bâtiments alentour et approfondit la différence entre la modernité de ces neuves constructions et le patrimoine militaire. Elle joue aussi avec la pesanteur du béton et la fragilité de l’ondulé plastique, qu’on retrouve dans les constructions voisines comme la nouvelle école d’architecture de Nantes, réalisée par Lacaton et Vassal, qui multiplient le jeu des transparences.
Romain Boulay décline donc des formes simples, d’une géométrie élémentaire. Proches du design dans leur facture impeccable, elles exhibent un souci rigoureux pour la finition des matériaux.
Dégagé de toute portée figurative, l’objet offert au regard est pure invitation à percevoir le temps qui s’écoule comme l’espace qui nous environne. Plus on réduit le domaine d’exploration de la création à ses formes et ses couleurs, plus l’œuvre réalisée est intense et complexe, faisant appel à tout un champ de perceptions ; de volumes, de lumières, de matières. En embrassant un large panel de sensations et références (phénoménologiques, philosophiques, architecturales, optiques, ….) l’œuvre ouvre tout un champ de réflexions métaphysiques renouvelées par nos dispositions perceptives. Sans rien imposer, chaque pièce laisse assez de respiration pour permettre l’épiphanie d’un visible discret, car dans l’ascèse formelle et dans l’élimination du motif, Romain Boulay laisse le champ libre à la contemplation de l’œuvre, comme à la perception du contexte dans sa matérialité. Très nourri de la philosophie de Maurice Merleau-ponty, Romain Boulay propose une approche phénoménologique : il s’agit à travers ses œuvres, comme dans son projet Seit und Zeit (une question en suspend) Réflexion sur Heidegger et Bergson, de révéler le réel. Dans l’épure, Romain Boulay réduit le potentiel d’expressivité de l’œuvre qui, dégagée du souci de la représentation, laisse chacun en face de ses modes de perception. Le spectateur a alors assez de place pour interroger ses propres réflexes esthétiques : comment je me positionne devant elle ? Quelle perception en ai-je ? Ébauche-t-elle déjà une interprétation ? Si oui, quelle signification lui donnerais-je ? A quels souvenirs la rattacherais-je ? L’œuvre de Romain Boulay nous invite donc aussi à questionner notre rapport à l’objet d’art.
Dans l’approche formelle de Romain Boulay une (re)construction centrifuge s’installe, qui invite à regarder l’œuvre et ses alentours. Dans sa discrétion, l’œuvre reste profondément en prise avec son environnement, et non centrée sur elle-même. Aiguisant le regard, elle reste à l’écoute des enjeux qui en constituent l’histoire. Rigoureusement aboutie, elle reste résolument ouverte.
Murielle Durand
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Tristan Tremeau |
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